Une trentaine de personnes ont eu le plaisir de visiter « UTOP », la première coopérative d’habitants à Paris, dans le 20ème. Cette visite apprenante, a été conduite par Le Labo de l’ESS, en partenariat avec Coop FR, Habicoop, Caph IDF et bien sûr la coopérative UTOP.
Dans un premier temps, les participant•es ont bénéficié d’une visite guidée par trois habitant·es qui ont fait le récit de cette aventure utopique ! Puis un débat, sur la base de différentes interventions, a ouvert le jeu des questions – réponses.
Si on remonte le temps…
Au tout début, en 2014, plusieurs personnes jouant dans un même groupe de musique, réfléchissent à un projet d’habitat participatif, anti-spéculatif et sans apport… Mais à Paris, quand on connait la rareté et le coût du foncier, elles se sont dit que cela serait impossible ! C’est l’époque où la Ville de Paris lance un appel à projets sur 3 terrains pour faciliter le développement de l’habitat participatif. UTOP se rapproche de la coopérative HLM Coopimmo et d’une coopérative d’architectes militants Archi Éthic… En 2016 ce projet est lauréat sur le terrain de la rue Sorbier.
Les obstacles rencontrés sont connus de beaucoup de projets en France : les barrières culturelles, la parenthèse du Covid, l’inflation des matériaux de construction, l’équilibre du montage financier et l’accord d’une banque.
En avril 2024, cet immeuble de 7 étages et de 17 logements (pour 41 habitant·es) est livré ! Au rez-de-chaussée un local commercial est occupé par « La Maison du 20ème » qui accueille l’équipe “Territoires Zéro Chômeurs » et la salle commune est louée en journée à un collectif de journalistes. L’usage de cette salle revient aux habitant·es les soirs et week-end.
Un jardin d’agrément, une buanderie, un local-vélo, un futur studio de musique, les paliers aménagés et le roof-top sont partagés par tous et toutes.
Une coopérative d’habitants pour quels effets ?
Soustraire les biens immobiliers des marchés spéculatifs, et garantir l’accès à un logement abordable, au meilleur prix, sont les 2 ambitions des coopératives.
Elles repoussent les limites de la propriété en « produisant » ou en rénovant un bâti dont les habitants auront la jouissance sous la double qualité de sociétaire et d’usager-résident.
En dépassant les principes de la propriété individuelle, les coopératives d’habitants font de la propriété collective la garante d’un commun enraciné et pérenne. C’est un choix politique !
Chez UTOP, les habitants sociétaires ont l’usufruit de leur logement pendant 60 ans, durée de l’emprunt contracté par Coop’Immo (4 millions d’euros) qui a consenti un bail à construction à la coopérative d’habitants qui rembourse le prêt locatif social (PLS), dont les loyers sont indexés sur les plafonds de revenus (3 niveaux de loyers). Aucun emprunt personnel n’a été nécessaire. Les habitants n’ont pas emprunté personnellement à la banque, c’est la coopérative d’habitants qui a contracté l’emprunt ; chaque ménage paye un loyer qui permet le remboursement du crédit. Par exemple, un T3 est loué 950€ par mois, soit 15 € le mètre carré ! En cas de départ, les habitants repartent avec leur apport initial, qui correspond à la valeur de la part sociale de la coopérative, 2250€, indexée sur l‘inflation.
UTOP a fait le choix de réserver 3 logements à des familles monoparentales, accompagnées par le bailleur social Habitat et Humanisme.
Les coopératives d’habitants font souvent le choix de larges mixités sociales et de revenus : 75 % des ménages sont sous les plafonds du logement social (PLS à PLAI).
Ces alternatives, entre le logement social et la propriété individuelle, transforment leur territoire par la mobilisation de ses habitants, par l’inter-coopération, par leur forme de gouvernance.
Pendant les dix années de co-construction du projet, les habitant·es se sont auto-formé·es sur les questions juridiques, financières, architecturales, vie de groupe…en étant sur des allers-retours permanents, en discutant longtemps, en cheminant individuellement aussi.
La gouvernance d’UTOP s’appuie sur le principe coopératif “une personne, une voix” qui place sur un même pied d’égalité les sociétaires.
Avec l’ensemble des coopérateurs et coopératrices, ils et elles sont responsables du (bon) fonctionnement de l‘immeuble, du ménage à l’animation du lieu qui accueille des expositions artistiques, des concerts, des débats…
Pour les coopératives d’habitants il s’agit de faire projet de bas en haut en se prêtant à des alliances et des négociations locales, au service de l’intérêt général : comment les collectivités peuvent-elles en faire des instruments de politiques publiques ? Comment susciter et sécuriser la réalisation des projets ? Comment appeler la société civile et lui simplifier la vie pour « lever » des projets ?
Les coopératives ont une capacité d’innovation institutionnelle et appellent les collectivités à collaborer entre expérimentations et consolidations (législatives, règlementaires, financières…). C’est ce qui a été réalisé déjà avec l’obtention des aides à la rénovation, avec le soutien aux coopératives en milieu rural.
Un point essentiel reste à travailler avec la Banque des territoires : l’accès à des prêts de longue durée adaptés aux coopératives d’habitat.
L’ouverture du BRS (Bail Réel Solidaire) aux coopératives est également un enjeu pour ces modèles d’habitat, notamment dans les zones tendues où le foncier est devenu inaccessible pour les futur•es coopérateur•ices.
Avec cette coopérative d’habitants UTOP qui se rajoute à la diversité des autres initiatives, avec les témoignages et les retours d’expériences évoqués lors de cette journée, nous pensons que nous avons fait la démonstration que ce modèle est fiable juridiquement, est viable financièrement et qu’il n’est pas de « l’entre soi » entre des gens qui choisissent leurs voisins, mais bien un mode d’habiter engagé.
