Alors que le logement est légitimement reconnu comme un besoin premier et un Droit, au regard des évolutions sociétales et des modèles économiques utilisés, proposer une réponse à la crise actuelle, nécessite la mise en place d’un dialogue amont entre élus, acteurs du logement et habitants, au moyen d’une méthode concrète ainsi que des compétences et des outils de mise en oeuvre adaptés.
En quoi cette crise consiste-t-elle ?
En tant que premier point de contact, l’élu local est interpellé au quotidien pour répondre aux demandes pressantes de logements abordables ; et c’est bien normal. Les “permanences logement” assurées en Mairie voient défiler des personnes en souffrance et en détresse. Les élus locaux, grâce au système de cotation, garantissent alors une procédure de sélection transparente, mais ils en sont ainsi réduits à gérer la pénurie par une hiérarchisation peu humaine de la gravité des cas. La population concernée, peu présente dans les cercles du pouvoir et d’influence, ne demande qu’un simple accès à un logement décent. Que celle-ci puisse avoir à attendre durant des années est une des sources majeures de défiance vis-à-vis des politiques publiques.
En parallèle de cela, les habitants déjà installés s’opposent fréquemment (par articles de presse, élections, pétitions, ou recours) à la construction de nouveaux projets immobiliers qui comportent des logements sociaux. Derrière ces manifestations se cache aussi en réalité une volonté légitime d’être associé à la transformation de son cadre de vie immédiat ; un souhait de ne pas subir des projets qui s’imposent trop souvent sans partage. En cela, c’est un sujet qui touche au coeur du processus démocratique de proximité, mais les tensions générées dans ces situations peuvent conduire les élus locaux à être beaucoup moins volontaristes dans la production de nouveaux habitats. On le leur reprochera sûrement par la suite, mais les maires constructeurs seront souvent battus aux élections qui suivent…
Enfin, les élus locaux sont également des acteurs clé dans la mise en oeuvre d’une véritable transformation de la ville face aux impacts du réchauffement climatique ou à ceux sur la santé causés par les choix d’urbanisme passés ; ils sont également au premier rang pour contribuer à régénérer la biodiversité urbaine ou mettre en oeuvre une gestion protectrice de la qualité de l’eau. Ces préoccupations peuvent ainsi conduire les élus à tempérer les ambitions de constructions neuves, susceptibles d’être perçues comme des sources d’impacts supplémentaires.
Pour contraindre le tout, dans les zones tendues le “système logement” actuel contribue à accentuer le creusement des inégalités liées au patrimoine, favorisant la spéculation et l’accaparement des richesses immobilières par certains, pendant que d’autres n’arrivent pas à se constituer un capital. Malgré les diverses incitations fiscales, le statut d’occupation, propriétaire ou locataire, évolue peu depuis des années.
Cette crise multifactorielle du logement, du patrimoine, de la démocratie locale et de l’écologie urbaine n’est très certainement pas “simplement” une nouvelle crise. Elle nous place au contraire dans une impérieuse nécessité de revisiter la chaîne de valeur de la filière « logement » et de transformer son organisation pour faire évoluer les comportements et disposer de réponses adéquates.
Comment sortir de cette crise ?
Nous observons que les solutions actuelles, traitent séparément chaque facette des différentes “crises” et reportent de fait systématiquement le problème d’un enjeu sur un autre, chacun pourtant tout aussi important. En conséquence, les pratiques actuelles n’offrent pas de réponse satisfaisante.
Il est donc urgent de faire émerger de nouveaux modes de faire au service d’une nouvelle manière de vivre mieux, sous la quadruple contrainte du Droit au logement, de la redistribution du patrimoine, de l’urgence écologique et enfin d’une participation citoyenne influente. Ces nouvelles pratiques viennent en complément des efforts qui doivent être faits par ailleurs, dans le domaine du logement social et de la promotion immobilière, pour faire avancer la pratique en ce sens.
De telles solutions commencent à émerger en France avec par exemple, le bail réel solidaire qui réinterroge la question même de la propriété pleine et entière. Certaines collectivités locales s’engagent dans ce qui est appelé un ‘urbanisme négocié’ lequel tend à associer les habitants aux projets initiés dans leur quartier. Les nouveaux plans locaux d’urbanismes intercommunaux favorisent la rénovation et la surélévation de l’existant plutôt que la démolition reconstruction, font de plus en plus une place à la biodiversité, comme à la pleine terre. Des promoteurs explorent la co-conception avec les habitants ; recourent à la construction hors site, ou proposent de l’habitat intergénérationnel. Des bailleurs sociaux mettent en place des dispositifs pour favoriser les parcours résidentiels par une définition plus fine de l’occupation des logements, d’autres recourent à des démarches participatives. Toutes ces démarches sont des apports et obligations nécessaires à une mixité sociale positive.
Ailleurs sur la planète, des réalisations montrent qu’il est possible d’aller encore plus loin et de co-construire un mode d’habiter qui transforme favorablement une réalité sociale parfois difficile, comme à Copenhague, Zurich ou Medellín. Les besoins en logements se révèlent ainsi très différents des projections habituelles formulées par les filières professionnelles, basées sur une production passée, projetée dans le futur.
Ces nouvelles méthodes inversent le processus de réalisation, en commençant par la constitution d’un collectif d’habitants pour définir un projet de vie. Elles proposent des logements modulables avec des typologies très variées permettant de gérer en son sein des parcours résidentiels divers et évolutifs. Elles remettent radicalement en cause la propriété en faisant par exemple de l’habitant le sociétaire d’une coopérative d’habitats (qui peut être définie comme une entreprise foncière, détenue et gérée par ses sociétaires). Le collectif d’habitants décide lui-même d’une politique de peuplement qui intègre intrinsèquement la mixité sociale, intergénérationnelle, la mixité d’usage et la non-spéculation. La préoccupation environnementale est pensée pour l’ouvrage mais aussi de manière plus importante encore pour son exploitation et dans son environnement, selon une approche qui peut être qualifiée de régénérative. Comme la démarche cherche un service rendu par l’immobilier, le collectif peut tout autant investir un immeuble vacant ou inséré dans une copropriété existante, rénover et agrandir un site existant, ou encore concevoir un projet totalement neuf. Les vendeurs peuvent être associés au projet et y trouver un nouvel habitat. Ce dernier aspect peut permettre de libérer des opportunités foncières en répondant aussi au parcours du propriétaire-occupant. Enfin, ce sont les futurs habitants eux-mêmes qui associent leurs futurs voisins à la réalisation du projet, supprimant ce faisant les risques de recours en désintermédiant les promoteurs et les élus.
Ces projets transforment la ville en créant des lieux de liens et de solidarités.
Pour réussir, cette approche suppose une implication forte de la collectivité locale qui doit mettre en oeuvre une politique foncière destinée à éviter la spéculation et à générer des opportunités acceptables, en quantité suffisante pour assurer l’attractivité du territoire et s’adapter aux modes de vie. La collectivité locale est également en position idéale pour favoriser le dialogue et la constitution de collectifs citoyens sensibles à la démarche ou en attente. La ville peut aussi travailler avec ces collectifs et les acteurs socio-économiques du territoire pour développer de nouvelles aménités de proximité au sein des projets (par exemple : ateliers d’artisans, commerces, coworking, crèches et autres services) et déployer des solutions de mobilités mutualisées et ouvertes aux tiers (auto ou vélo partage, co-stationnement, etc.).
Tous les acteurs de l’immobilier et de la ville peuvent s’emparer de ce nouveau paradigme en allant au-delà du simple “verdissement” des pratiques actuelles, en reformulant leurs modèles économiques, y intégrant les sciences sociales et les sciences du vivant, pour réussir à construire des solutions adaptées au lieu, avec les habitants.
Ces nouvelles approches de la question du logement, du type de celles que nous décrivons ici, sont aussi, à notre sens, une des clés de la lutte contre le développement des populismes, car elles s’appuient sur la constitution de collectifs d’habitants et de solutions adaptées à chacune et chacun.
Co-auteur
- David Ernest Maire adjoint en charge de l’urbanisme, du patrimoine et des mobilités de la ville de Chaville, cofondateur du Cercle de réflexion
- Lionel Pancrazio Administrateur d’Habicoop – Ffch, Enseignant Hec Paris – Sciences Po Paris – Universités de la Sorbonne, Chercheur associé au laboratoire Médiations de Sorbonne Université, Mrics, cofondateur et coordinateur du Cercle de réflexion Gviu
Relecteur du Cercle Gviu
- Jean Carassus Professeur, École Nationale des Ponts et Chaussées Fellow de la RICS, fondateur du Cercle de réflexion Gviu
- Frank Hovorka Directeur Stratégie et Innovation de la Fédération des Promoteurs Immobiliers, Membre du board de la RICS, Président de REHVA
- Jean-François Le Teno Directeur du digital et de la transformation Membre du Comité Exécutif, Groupama Immobilier
Signataire de la Tribune
- Christiane Châteauvieux Représentante du Conseil d’Administration d’Habicoop – Fédération française des coopératives d’habitants
- Mahel Coppey Présidente du Réseau des collectivités Territoriales pour une Economie Solidaire (RTES)
- Jérôme Saddier Président du Groupe Crédit Coopératif et de Coop FR
Bibliographie support
Article du Cercle de réflexion Gviu parus au sein de Réflexions immobilières :
- N°95, Immobilier responsable, de la norme à l’engagement
- N°83, L’immobilier tertiaire : l’impact du numérique sur les métiers et les usages
- N°72, (R)évolution des métiers et immobilier… « as a service »
- N°53, Évaluer et Garantir la valeur verte immobilière
Article des membres du Cercle au sein de la revue :
- N°81, L’Investissement Socialement Responsable, Fer de lance de l’immobilier
- N°81, Une nouvelle approche de l’obsolescence immobilière
Article au sein de la revue par son coordinateur (préalablement à la création du Cercle de réflexion) :
- N°43, L’immobilier de l’État et des entreprises publiques et parapubliques
- N°38, Les Sociétés d’Investissement Immobilier Cotées face à l’externalisation
Ouvrage
- 2024, Pancrazio Lionel, Ingénierie de l’externalisation d’actifs réels, application au cas de l’immobilier, dans Ingénierie financière, fiscale et juridique, éditions Dalloz.
- 2020, Pancrazio Lionel, Stratégies durables pour la ville, Créer de la richesse, Donner du sens, éditions De Boeck Supérieur – Hec Paris.
- 2019, Carassus Jean, Le choc, Révolution industrielle, biosphère, société, éditions de l’Aube.
- 2014, Hovorka Frank et al., L’efficacité énergétique du bâtiment, Optimiser les performances énergétiques, le confort et la valeur des bâtiments tertiaires et industriels”, éditions Eyrolles.
Mémoire, thèse
- 2024, Pancrazio Lionel, Environnement versus Développement durable ou durabilité et vote populiste, Emmpp – Sciences Po Paris.
- 2020, Pancrazio Lionel, Développer les coopératives d’habitants dans le Grand Genève, Working paper, InterregV DevCoop, Postdoctorat – Universités de Genève et Savoie-Montblanc.
- 2018, Pancrazio Lionel, Parcours résidentiel et transitions urbaines à la durabilité, École doctorale sciences de l’homme et de la société – Université de Reims-Champagne Ardenne